L’ELDORADO, Les vendeurs de rêves

L’ELDORADO, Les vendeurs de rêves | AfroRaise

On fait tous ces genres de rêves. Ces genres de rêves dans lesquels tout est possible. Une famille de rêve, un travail motivant, bien rémunéré, de belles maisons et voitures de luxes ; bref une belle vie. La famille est fière quand on réussit car les parents voient les investissements de toutes ces années porter leurs fruits. Votre nom est crié partout. « Mon fils est ceci, mon fils est cela ». Mais force est de constater que dans nos pays africains, ces rêves ne sont qu’ironiques et voire irréalisables  et que peu de personnes y parviennent. La politique, la corruption, la haine et l’individualisme de nous africains  sont ce qui constitue «un blocus » pour ces jeunes, ayant cette volonté de faire de leurs vies quelque chose de positif. Les conditions de vie étant pénibles dans nos pays, ils sont obligés de se tourner vers l’occident où paraît-il que la vie est tellement facile ; où tout le monde mange à sa faim, où même qu’en prison on mange mieux que dans certains pays de notre continent « l’Afrique ». Mais reste à savoir si la vie de l’occident est aussi facile qu’on l’imagine.
C’est ce que je vous fais découvrir à travers  l’histoire de ce  jeune homme « Jules » qui voulait simplement réussir dans la vie.

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Jules est un jeune diplômé issu d’une famille très pauvre habitant Lomé. Mais il a quand-même réussi à décrocher son master en gestion logistique et transport. Comme le disait souvent ses professeurs, ce secteur est porteur d’avenir et vecteur d’emplois. Quiconque ayant fait une formation dans ce domaine  ne chômera pas ; disaient-ils. C’était la fierté pour ses parents de voir leur seul fils à ce niveau malgré les intempéries dans lesquels ils étaient passés. Après la remise de diplômes, il fit maintenant face à la réalité du marché de l’emploi qui est pour ainsi dire hyper saturé. Les demandes de stages par ci, par là mais aucun rappel. Il ne se décourageait pas car comme on le dit souvent, qui cherche trouve et notre cher frère n’a jamais baissé les bras. 
Une année s’est écoulée et Jules n’a toujours pas trouvé de stage. Ceux sur qui il comptait ne pouvaient rien faire pour lui. Même ses parents ont essayé à travers certaines relations mais sans résultat. Or le temps passait et il prenait de l’âge. Les camarades avec lesquels il a fréquenté travaillent et d’autres ont même fondé une famille. Il écrit un projet et le déposa au ministère du travail. Grande fut sa surprise après s’être rendu un vendredi matin, le directeur de cabinet lui fit savoir que le ministre était en voyage d’affaire en Europe et ne rentrera que dans une semaine, donc de repasser après. Et que trois jours plus tard, devant le journal télévisé, ce même directeur de cabinet, s’appropria le projet et l’annonça à la télé. Très déçu par la vie et ces coups bas, Jules ne sait plus quoi faire. Les parents n’avaient plus les moyens de subvenir à ses besoins. Et c’était pour lui une véritable honte qu’à son âge, il était obligé de demander de l’aide à ses parents ne serait-ce que pour ses petits besoins. Comme dit-on souvent qu’il n y a pas de sot métier, il chercha un job de vigile dans la maison d’un grand commerçant. Mais le salaire était tellement dérisoire que le problème ne changeait pas ; mais il tenait le coup.
Un soir alors qu’il montait la garde de la maison, il entendit deux jeunes hommes assis à la devanture de l’autre maison parler de voyage en France et que cela ne coûtait que sept cent mille francs CFA y inclus les papiers mais c’était à travers la mer. Il s’approcha d’eux pour mieux s’informer parce qu’il était vraiment intéressé. Sept cent mille francs pour aller en France ? Pour lui c’était moins cher par rapport à la voie normale. Mais où trouver tout cet argent ? Il n’avait pas d’économie. Il décida alors d’en parler à ses parents.
L’économie du père reposait juste sur un terrain familial sis dans leur village natal. Il décida de le vendre pour faire passer son fils de l’autre côté de la mer car comme il paraît que là-bas, c’est mieux qu’ici. Il lui réunit l’argent. C’est ainsi que commença l’aventure de Jules.
C’était un lundi soir, il prit le bus ici à Lomé en destination du Burkina Faso puis pour le Niger. Arrivé à Niamey, il fit escale d’une semaine puis prit ensuite la route de la Libye. Il fit la connaissance d’Abdul et Razak, deux nigériens qui étaient dans la même situation que lui. Une semaine plus tard, le contact comme prévu leur fit passer la frontière libyenne. Il fut relayé par un autre chauffeur qui les mena à Ghat ; une ville située à l’ouest, sur la frontière Libyo-algérienne. Un autre contact passera les chercher dans deux semaines pour Ghadamis puis Yafran. Mais pour tuer le temps, ils seraient obligés de trouver de petits travaux ; à titre de manœuvre par exemple, histoire de faire un peu d’économie pour la suite de l’aventure.…
Deux semaines plus tard, arriva le nouveau contact et comme prévu, il les conduira jusqu’à Yafran. Le trajet était fait dans le désert pour éviter la police. Cela leur prit neuf jours avant d’atteindre Yafran. Il n’y avait ni eau, ni nourriture etc.… Razak ne survécut pas. Il mourut cinq jours après leur départ de Ghat. Le contact qui était aussi le chauffeur ne savait quoi faire, jeta son corps dans le désert. La peur commença par envahir  Jules. Affamé depuis trois jours, il ne cessait d’appeler le ciel à sa rescousse  pour que ce trajet se termine le plus vite possible.
Les neufs jours sont passés. Ils arrivèrent comme prévu à Yafran. Les choses se passèrent mal pour Abdul qui perdit son passeport en chemin. Il est obligé de s’arrêter en Lybie. Plus rien à faire pour lui.
Jules resta un mois à Yafran avant l’arrivée du dernier contact. Celui-ci était chargé de l’amener à AL Aziziyah puis Tripoli. Arrivé à Tripoli, y’avait plus de passeur. Les garde-côtes libyens ne donnaient plus aucun temps de répit. C’étaient des patrouilles régulières vu le taux élevé de clandestins les cinq derniers mois. Mais par chance, un flic corrompu qui était de mèche avec les passeurs voulut l’aider mais cela lui coûtera environ cent mille francs CFA.
Il lui présenta un monsieur qui avait un vieux bateau de cent places qui accepta de l’embarquer mais dans une semaine et demi.

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Deux semaines plus tard, le vieux passeur arriva avec trois de ses compagnons. Ils se reposèrent dans la journée et embarquèrent plus tard dans la nuit. Il n’était pas question de prendre les effets avec soi car le bateau qui était prévu pour cent personnes, a pour passager trois cent, c’est-à-dire le triple. C’était de la mer à boire. Ils y étaient entassés comme des poissons fumés ou  des viandes de porcs vendus dans les abattoirs. Jules y était ; les mains aux mentons, dans un t-shirt gris et un pantalon noir, il contemplait le ciel et l’agitation de la mer. Dans ses pensées, il ne voyait que la France, la tour Eiffel, les grands immeubles et une vie de rêve. Paris ; la ville où s’accompliraient ses désirs et il a hâte que cet enfer se termine le plus vite possible. Hélas, il lui restait encore quarante heures. Ils viennent juste de faire huit heures de trajet. « Je n’ai pas peur de l’eau parce que Dieu a créé l’eau. Je n’ai pas peur de la mort, on doit tous mourir un jour. Qui ne risque rien, n’a rien » sont les paroles qu’il répétait en boucle comme une chanson.
Arrivé en pleine mer, le passeur remarqua que l’eau pénétrait abondamment dans le bateau et que s’il ne faisait rien, ils risquaient tous d’être engloutis par l’océan. Pour cela, il fit jeter par force plus de cent passagers à la mer. Il promit de repasser les chercher dès que possible mais ils savaient tous au fond d’eux que cela était impossible. Sauve qui peut. Les pleurs par ici, des cris par-là ! Ils voyaient la fin de leurs existences comme si c’était dans un rêve. 
Chanceux, jules était parmi ceux qui restaient sur le bateau. Tout mouillé par la mer, le froid l’envahit mais il devait le supporter pour ne pas être à son tour jeté en pâture à de foutus requins. Il commença par implorer l’éternel pour lui venir en aide. Il a certes faim et soif mais aucun vivre n’avait de place sur ce vieux tas de ferrailles.  
A cinq kilomètres de la frontière italienne, le bateau qui les transportait fut complètement englouti par la mer.  Il nagea en groupe avec une dizaine d’autres migrants pendant à peu près quatre heures de temps. Totalement essoufflés et fatigués, certains d’entre eux agonisaient. La mort leur souriait à belles dents. Dieu merci, les garde-côtes faisaient la patrouille dans les parages.  Ils portèrent secours à ceux qui tenaient encore le coup puisque la plupart  ont sombré dans l’océan.
Traumatisés, ils ont été pris en charge par des psychologues dans un camp de réfugiés à Lampedusa  pendant plus de deux mois ; ce qui leur permit de se libérer du traumatisme vécu.
Quelques semaines plus tard, ils furent rapatriés dans leur pays respectifs.
Après cette malheureuse aventure, il rencontra au  pays un de ses anciens camarades qui dirigeait une des plus grosses multinationales  de logistique. Lui narrant son histoire, il  en eut pitié et le met à l’essai dans son entreprise. Quelques années plus tard, vu son dévouement et ses compétences, l’entreprise le nomma directeur d’une des filiales en cours de création à Paris.
Voici l’exemple de surprises que la vie nous réserve. Il a tenté de se rendre illégalement à Paris or qu’en réalité, le destin lui réservait un autre bien meilleur sort. Il peut désormais s’y rendre quand bon lui semble.
En conclusion la réussite ne dépend pas forcément du lieu où on se trouve. Tout est une question de volonté, de persévérance et surtout d’opportunités qui se présentent.
Fin 
Ecrit par Koffi Verdo Lompiol

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