AU PRIX DE MON ÂME (Ep 1)
Assise dans ma chambre, je regarde une fois encore ce diplôme, cette attestation, je la tourne encore et encore et je suis contente de faire la fierté de mes parents. On dit souvent que nous devons faire plus que ce que nos parents ont fait et c’est mon objectif. Aucun de mes parents n’est arrivé là où je suis, c’est déjà un grand pas vers l’avant. Les combler de joie, les satisfaire, les construire des maisons, acheter des voitures pour eux, c’est comme ça que je regarde mon avenir. Ils se sont assez battus, à mon tour maintenant.
Bref, je suis Cynthia et je viens de célébrer mes 22ans et devinez quoi, cet anniversaire a eu lieu le même jour où on me remettait mon diplôme, la joie de ça. J’ai eu une licence en ressources humaines dans une Université privée de la place. Sans vous mentir, payer les frais de scolarité n’était pas du tout facile pour mes parents à cause de l’écolage qui est très élevé, ils se sont battus bec et ongle pour m’offrir cette vie de princesse, oui, je le dis comme cela parce-que cette université, ce n’est pas pour n’importe qui. Notre famille passe par des difficultés énormes, des dettes par ici et par là, le manque d’emploi pour mon papa, le marché qui ne marche plus pour ma maman. Dieu merci, je suis leur seule fille, seul enfant, si nous étions deux, comment serait-ce ?
Mes deux parents et quelques trois amis ont participé à la remise de mon diplôme en ce jour. Je n’avais pas assez d’amis parce que pour mes camarades de faculté, je ne méritais pas d’avoir des amis comme eux à cause de ma situation, ma pauvreté, ma misère. Eux, ils sont riches, pleins de billets, ils viennent à l’école avec des voitures, moi j’y vais à pieds malgré la distance. Bref, pour eux, je n’avais pas ma place dans cette université.
Même tout à l’heure à la réception, j’ai été honnie, jamais je ne l’oublierai pas. Je me souviens très bien des phrases de mes camarades à mon envers.
-Kennedy (à moi) : même si tu as été sacrée première de cette promotion, nous sommes toujours à la tête nous.
-Christelle : Ken, laisse l’affaire. Moi, je veux seulement connaitre les parents de Cynthia
-Moi : ils sont là, juste là (en montrant des doigts mes parents)
-Nadia : l’homme qui est en boubou ?
-Christelle : et la femme à côté ??
-Moi (souriante) : oui oui, ce sont mes parents.
-Kennedy : beuuurrrkkk, vous êtes carrément fauchés vous. Tu ne m’avais jamais dit que vous étiez pauvres jusqu’à ce stade.
-Nadia : si tes parents peuvent s’habiller comme cela pour venir ici alors que c’est toi qui es la championne de cette année, merde ! ça fait honte.
-Christelle : j’espère juste qu’il n’y aura pas de moments où on va demander à ses parents de parler, de faire un petit discours.
-Kennedy : Christy, n’avances même pas ! la honte de ça !! ah non, non
-Elvire : non mais c’est quoi le problème ? Vous avez quoi contre mon amie ?
Elvire est ma meilleure amie, une amie que je n’ai jamais connue et que je ne connaitrai plus jamais. C’est le genre d’amie qui est fauchée comme toi mais qui est toujours présente pour toi dans toutes les situations. Difficilement, elle joint les deux bouts mais elle fait assez de choses pour moi.
-Moi : je vous ai fait quoi au juste ??
-Nadia : tu es trop moche, c’est ce que tu nous as fait ça.
-Christelle : et quand tu vas finir de te rendre belle, appelle-nous, chérie.
-Kennedy : et surtout n’oublies pas. Rend toi riche.
-Moi (au bord des larmes) : ça, je le ferai certainement.
Dès qu’ils sont partis, je vois ma mère courir vers moi.
-Elvire : essuies tes larmes avant que ta maman n’arrive. Aujourd’hui ne doit pas être un jour de tristesse pour toi la championne.
Elle finissait la phrase quand maman se pointait en même temps devant nous.
-Maman : tout va bien ??
-Moi : oui bien sûre, tout va bien. J’espère que vous profitez bien.
-Maman : allons, on va rentrer.
-Moi : euh, pourquoi ??
-Maman : on rentre ma fille. Un jour, ils te verront et ils ne te reconnaîtront plus.
En me souvenant de comment mes amis m’ont traité, mes larmes coulent aussitôt.
Ils sont nés dans le luxe, moi je me bats pour avoir ce que je veux mais c’est comme s’ils ne comprennent pas. Il y a une très grande différence entre nous, nous n’avons pas les mêmes opportunités mais apparemment leur cerveau ne peut même pas comprendre cela. Deux vies différentes, deux histoires différentes.
J’ai passé mon après-midi en compagnie d’Elvire, on a causé de tout et de rien. Ah ! elle n’a pas été dans la même université que moi, d’ailleurs elle n’a pas fait l’université. Elle a arrêté l’école quand elle a eu le bac à cause du décès tragique de son père. Je la connais juste parce que nous sommes dans le même quartier, elle m’aime bien et c’est pareil.
-Elvire : bon, chérie, je pense que je vais rentrer.
-Moi : merci pour la compagnie.
-Elvire : tu mérites ça grande dame Cynthia. Tu es une grande personnalité. Bientôt, tu le verras.
-Moi : je crois.
-Elvire : nous ne sommes pas à l’église.
-Moi : rires, ce n’est toujours pas à l’église qu’on manifeste la foi.
-Elvire : si tu le dis…
-Moi : demain, je compte passer te faire un coucou vu que je suis pour le moment à la maison.
-Elvire : ça me fera plaisir. J’espère juste que ton directeur va vite t’appeler. Parait-il que tu dois être embauché quelque part.
-Moi : ouais, c’est ce qui a été dit et j’attends son coup de fil
-Elvire : il le fera, demain peut-être.
-Moi : certainement.
J’accompagne Elvire jusqu’au portail quand je vis ma maman rentrer de je ne sais où..
-Moi : bonne arrivée.
-Elvire : bonne arrivée da-Féli
Ma mère s’appelle Félicité et on a pris l’habitude de l’appeler da-Féli, du genre grande sœur ou maman Féli.
-Da-Féli : merci les filles. Cynthia, on doit parler.
-Moi : j’arrive maman.
CYNTHIA
Je suis ma mère jusqu’au salon, j’ignore de quoi elle veut me parler en tout cas. Mon père est lui aussi assis là, je fais pareil et je les regarde sans broncher.
-Papa : si on t’a convoqué ici, c’est pour une raison précise.
-Moi : oui, ça se fait voir.
-Da-Féli : d’abord, je tiens à te féliciter. Si j’avais les moyens, j’aurais pu t’offrir quelque chose mais tu connais notre situation.
-Moi : oui, je sais très bien. Payer mes trois ans de scolarité, c’est grand. C’est un beau cadeau que tu m’as offert comme cela, je t’en suis reconnaissante, je vous en suis reconnaissante tous les deux. Et si vous n’avez rien trouvé pour m’offrir en ce jour si spécial, je vous jure que ça ne me pose aucun problème.
-papa : merci ma fille. Je suis très ravi de t’entendre parler comme cela.
-Da-féli : comme tu nous connais et tu connais notre situation alors on ne va pas passer par quatre chemins pour te dire ce que nous avons à dire.
-Moi : parlez, pas de problème. Moi, je vous écoute.
Ce n’est pas tous les jours que tes parents t’appellent pour te parler. Je suis sûre que ce n’est pas seulement pour me féliciter, ils ont quelque chose à dire ces vieux.
-Papa : voilà.. tu ne peux pas rester à la maison sans rien faire. Il faut que tu commences par aller au marché avec ta mère.
Une minute de silence, non deux minutes plutôt, je regarde mon père ensuite ma mère… donc si je suis assise ici, c’est pour apprendre que j’irai au marché. Sérieusement parlant, je pensais que ce serait quelque chose de sérieux.
-Moi : pourquoi aller au marché ??
-Da-féli : tu n’as pas encore de travail et…
-Moi : bah ouais, mais j’en aurai un bientôt.
-Da-féli : je ne refuse pas, tu en auras bien sûre mais au cours de la période d’attente, à quoi ça va servir de rester à la maison ?
-Moi : et à quoi ça va servir d’aller au marché ?? Avec ma licence ?
-Da-féli : regarde Elvire ton amie.
De regarder Elvire ? Tellement je m’énerve quand mes parents veulent prendre quelqu’un que je connais trop bien comme modèle alors que moi-même je suis un modèle à suivre en matière d’intelligence. Oui, c’est ce que Dieu m’a aussi donné ; chacun de nous a reçu pour lui. Pour me défendre, je réponds quand même :
-Moi : Elvire n’a que le bac.
-Da-féli : le bac, c’est beaucoup
-Moi : en plus, son père n’est plus donc elle n’a réellement pas le choix.
-Papa : actuellement, toi aussi tu n’as pas le choix.
-Moi : oh que si ! j’ai le choix. J’attends que mon directeur m’appelle pour me donner du travail.
-Da-féli : peut-être que ce sera après deux, trois ou quatre semaines voir des mois, tu vas rester sans rien faire ?
-Moi : non, je ne vais pas rester sans rien faire. Je vais me chercher du travail.
-Da-féli : et en attendant que tu trouves, tu feras quoi ?
-Moi : rien !
-Papa : donc tu refuses catégoriquement d’aider ta mère au marché.
-Moi : avec ma licence ?
-Papa : cette licence dont tu parles autant, c’est ta mère qui a tout gérer pour toi, toutes ses économies sont parties dans cette affaire.
-Moi : c’est normal papa. C’est aux parents de soutenir leurs enfants pendant un bon moment. A 22ans, vous pourriez toujours prendre soin de moi, je ne suis pas encore âgée.
-Papa : tu n’es pas encore âgée mais parmi tous ces enfants de riches, c’est toi qui étais la tête, tu n’es pas âgée mais tu réfléchis et tu agis comme une personne âgée. Tu n’es pas âgée mais tu fais tant de choses. Tu n’es pas âgée donc tu peux aider ta maman à vendre ses produits.
-Moi : je n’en suis pas sûre.
-Da-féli : à la salle de réception hier, tu as demandé à tes amis ce que tu leur as fait de mal. Je te repose la question Cynthia, que t’ai-je fait de mal ?
-Moi : oh non maman, tu ne m’as rien fait du tout.
-Da-féli : aide-moi pour que je puisse t’aider, c’est le moindre que tu puisses faire actuellement. Pourquoi ce refus ?
-Moi : ce n’est pas du refus maman. Nous sommes dans des domaines différents.
-Da-féli : domaine différent où ?
-Papa : Cynthia, Cynthia, CYNTHIA !!!
Finalement pourquoi crie-t-il sur moi comme cela ? tout le monde doit prendre sa décision selon ce qui peut l’avantager n’est-ce pas ? et moi actuellement je ne décide pas d’aller au marché ? C’est compréhensible. C’est quoi leur problème ? je lui réponds quand même.
-Moi : papa !
-Papa : penses à demain, je répète : penses à demain. Il y aura un jour où nous ne serons plus là. Il y aura un jour où tu vas dire « ah, si je savais ». Je ne veux pas que tu connaisses ce jour.
-Moi : le jour-là, je vais gérer.
-papa : dans ta chambre tout de suite !
Je me lève et je pars sans ajouter un mot, j’en ai aucune envie. Marché de maman ? Produit de maman? Ne suis-je pas trop âgée pour ces genres de choses ? bon pas trop âgée mais …. Bref, je ne peux pas.
DA-FELI
Elle a quoi cette fille ? Licence, licence, licence… ah !
-Papa : tu penses qu’on pourra la convaincre ?
-Moi : non, je ne pense pas.
-Papa : je t’accompagnerai au marché.
-Moi : ah ! non, non. Tu es un homme.
-Papa : un homme, ça bosse aussi. Je suis resté à la maison depuis longtemps alors qu’on avait la solution sous les yeux. Tu étais le père et la mère, c’est toi qui gérais tout, tu étais seul et d’un coup, tu as vieilli, je m’en veux pour ça. Laisse-moi t’aider, laisse-moi me racheter au cours de ces derniers jours…
-Moi : derniers jours ?
-Papa : oui, oh non… genre au cours de ces moments
-Moi : d’accord, on ira ensemble
-Papa : j’aurais quoi à faire ?
-Moi : tu livreras les gens dans leur maison.
-Papa : oui, c’est bon comme travail. Comme cela, tu n’auras plus à payer les livreurs
-Moi : et l’argent revient à la famille.
-Papa : exact. Peut-être qu’en nous voyant faire ça, Cynthia serait intéressée, on ne sait jamais.
-Moi : oui, on verra bien.
LE LENDEMAIN
CYNTHIA
Je me réveille et il est 9H42’. Tout a été balayé, rangé et tout. Je regarde sur la table et ils ont laissé un mot « nous sommes au marché, nous deux ». Ah d’accord, je me demande depuis quand papa, lui, il va au marché. C’est bien en tout cas. Je dois aller chez Elvire moi.
Peu de temps après, je suis chez Elvire, ma vivi, mon amie de tout le temps.
-Moi : bonjour ma co.
Après tout ce qu’il y’a à dire, je lui raconte ce que mes parents m’avaient dit hier. Elle ne parait pas surprise.
-Moi : tu penses quoi de ça ?
-Elvire : sérieusement parlant, je pense qu’ils ont raison.
-Moi : quoi ?
-Elvire : tais-toi et écoute-moi stp. On le dit toujours, la vie est un choix et ce choix dépend de toi surtout si tu reçois des conseils de la part des ainés. Tes parents sont passés par beaucoup de choses. Le niveau que tu as atteint aujourd’hui, c’est grâce à eux mais souviens-toi qu’eux même n’ont pas atteint ce niveau Cynthia, ça veut dire qu’ils ont investi en toi et dans ce genres de situations, on attend toujours le retour. Ils savent ce qu’ils veulent pour toi. Aider da-Féli au marché, c’est une bonne chose. Oublies tes camarades s’il te plait, « quand on vient de loin, on doit aller loin » garde cette phrase dans ta tête. Demain, va au marché avec la daronne, tu n’auras rien à perdre.
Après avoir écouté tout ce qu’elle a dit, je m’abaisse, je prends mon sac et hop ! je pars.
A SUIVRE
Ecrit par Esther AMETONOU