LE FILS PRODIGE (PARTIE 2) FIN

LE FILS PRODIGE (PARTIE 2) FIN | AfroRaise

Le lendemain, Etsè se rend à l'école sans opposition. Visiblement, il s'est résigné à continuer les études. Cela n'a été qu’une trompe l'œil. Deux jours plus tard, il partit à l’école et ne revint plus. Il laissa une note: 
« Papa, maman, Atsu. Une fois de plus, je sais que mes choix vont vous causer du chagrin. Croyez-moi, je ne l'ai pas fait exprès. J'ai passé ces derniers jours à y réfléchir. J'ai tourné la question dans tous les sens et au final je n'ai trouvé que ça comme solution. Je sais que vous voulez et avez toujours voulu mon bien. Pardonnez-moi pour tout le mal que je vous ai causé tout au long de ma vie. J'ai toujours été le fils désagréable; celui qui ne suit jamais vos prescriptions. Mais cette fois-ci, ce n'est pas juste un caprice. Je suis parfaitement conscient du choix que je fais ou des risques que je cours. Le football, c'est toute ma vie. J'ai tenu le coup toutes ces années grâce à cela. Être dans l'ombre de mon frère Atsu n'a jamais été aisé à vivre. C'est la seule chose dont je peux être fier, et m’en priver, c'est en quelque sorte me tuer. J'ai alors décidé de tout abandonner pour vivre pleinement mon rêve. Je sais que ça ne sera pas facile mais je tiendrai le coup juste pour que vous soyez tous fiers de moi. Merci pour vos sacrifices et tout ce que vous m'avez apporté durant ma vie.
Frèrot, même si je n'ai jamais osé te le dire, tu as toujours été mon modèle. Tout ce temps à t'embêter, c'était juste par frustration de ne pas pouvoir être comme toi. On a été ensemble dès les premiers instants de notre vie; sache que je te porterai à jamais dans mon cœur.
Pardonnez-moi pour le chagrin que je vais encore vous causer. Sachez juste que  je vous aime très fort. Je reviendrai.
Etsè »
Ils furent tous très tristes après lecture de cette lettre mais seule leur mère la laissait paraître. Elle le pleura comme s'il n'était plus de ce monde. Le père par contre s’embourba dans un silence absolu et il l'imposa indirectement aux autres. Désormais, le seul fils qu'il a et à qui il consacrera toute son attention est Atsu. Plus personne n'avait le courage d'aborder le sujet sensible qu'était "Etsè". 
Du côté d'Atsu, tout marchait comme sur des roulettes. Il obtiendra sa licence l'année suivante et enchaînera immédiatement avec un master en droit des affaires. Logiquement, il voulait travailler en tant que juriste d'entreprise. Grâce à des connaissances de son père, il a pu quand-même trouver un stage dans une bonne société pour son mémoire. Il espérait qu'on puisse le garder vu que tout le monde appréciait son travail, ne serait-ce que pour un contrat à durée déterminée après sa soutenance mais à sa grande surprise, on lui dit simplement au revoir. Pour la première fois de sa vie, il connaît le rejet. Ça a été difficile à accepter pour son orgueil qu'on lui refuse le poste espéré. Toute sa vie, on ne lui a jamais rien refusé. Il s'en sortait toujours grâce à son légendaire charme et son intelligence. Maintenant, on dirait que cela n'avait plus aucun effet. Ce qu'il ignorait est que ce n'était que le début d'une longue série. 
Il multiplia les dépôts de dossiers dans toutes les structures possibles; publiques comme privées mais aucun rappel. Même les offres d'emplois auxquels il postulait n'avait pas de suite favorable bien qu'il ait les compétences requises. On aurait cru tout d'un coup que le monde s'était ligué contre lui. Il passait ses journées à chercher un endroit où se poser mais c'était peine perdue. Ses parents de leur côté essayaient également d'user de leur petite influence pour trouver une solution mais non, rien de tout cela ne marchait. Le seul qu'il avait réussi à trouver entre-temps fut un poste intérimaire. Il fit juste trois mois avant qu'on ne lui demande de mettre de nouveau les voiles. 
Cinq années passèrent et sa situation était toujours aussi précaire. Ce fut un vrai chagrin pour Fo Koffi de voir son brillant fils galérer autant, surtout qu'il était admis à la retraite depuis trois ans et avec sa maigre pension, c'était difficile de pouvoir supporter les dépenses de la maison. En outre, la vieillesse commençait par avoir raison d'Akossiwa qui avait des soucis de santé. Toutes ces charges devenaient de plus en plus pénibles à gérer pour lui. Atsu commençait à déprimer du fait de ne pas pouvoir venir en aide à ses chers parents. Un bon diplôme en poche mais aucune opportunité. Les seules qui se présentaient étaient en deçà de ses qualifications mais il était obligé de les accepter avec un  salaire assez dérisoire. 
Comme si tout cela ne suffisait pas, Fo Koffi aura de graves soucis de santé; on lui détecta une tumeur. Compte tenu de son emplacement assez délicat, une radio chirurgie serait l'idéal mais aucun hôpital dans le pays n'avait l'équipement approprié pour une telle opération donc forcément on devait l'évacuer à l'étranger. La grande famille ne s'intéressait plus à lui, or on devait l'opérer d'urgence au risque que la tumeur ne se propage mais les fonds manquaient cruellement. Fo Koffi qui a été si généreux toute sa vie n'a plus un seul soutien, tant de la part de ses anciens collègues que ceux qui venaient tout le temps à la maison se revendiquant des amis de la famille. Juste quelques-uns parmi ses anciens collègues qui venaient lui rendre visite; la plupart d'entre eux d’ailleurs c'était plus par curiosité que de réellement se soucier de son état de santé. 
Par contre, Etsè après sa fugue partit pour le Ghana voisin rejoindre un club de deuxième division dont le coach lui avait déjà proposé de jouer pour son équipe. Il y a très vite pris ses aises. Le pays s'est extasié toute cette saison devant son talent. Grâce à ses performances, son club monta en première division et l'année qui a suivi, ils remportèrent le championnat. Ce qui leur propulsa vers la ligue des champions africaine. Ils sont d'ailleurs parvenus jusqu'en finale où ils se feront battre par une équipe égyptienne.  Mais il s'est une fois de plus illustré. De là, des propositions européennes commencèrent par lui arriver. Il a joué une saison de plus au Ghana et partit rejoindre un club belge de première division. Là, l'intégration sera plus difficile. D'abord à cause du climat. Il a même eu quelques soucis de santé. Toute cette saison, il n'a joué que cinq matchs où à chaque fois il était remplaçant. Néanmoins, il n'a rien lâché. La saison suivante, il a réussi à se relever et à s'imposer en tant que titulaire indiscutable. Il a fini meilleur buteur de la saison et en battant par la même occasion le record national du nombre de buts pour une saison. Ce fut le début de l'épopée. Une équipe de première ligue anglaise réussit par la suite à le dénicher où il se révèlera complètement au monde. Jusque-là, personne ne connait ses vraies origines puisqu'il a changé de nom quand il est arrivé au Ghana. Tout le monde le prenait pour un Ghanéen et il n'osait même pas le démentir. Mais cette question reviendra le tourmenter quand il voudra choisir sa sélection nationale. Le Ghana a été son pays d'adoption, un pays qui lui a donné sa chance et a cru en lui mais tout son cœur appartient au Togo, le pays qui l'a vu naître, là où réside sa petite famille. Le pays lui manquait mais il n'avait pas le courage de revenir au bercail. Un fait l’y contraindra. 
Le médecin qui suivait le cas de son père s'en est référé à un autre collègue de passage au pays qui est plus expérimenté en la matière pour voir à peu près les traitements envisageables. En consultant son dossier médical, ce dernier eut un petit tic.  Ce nom de famille était celui d'un ancien camarade à lui qui n'était qu’Etsè surnomme Tsito. Il savait qu'il avait un frère jumeau alors il poussa plus loin la curiosité. Il en eut le cœur net quand il rencontra Atsu qui emmena son père le voir dans sa clinique. Il resta tout de même discret. On devait l'évacuer au plus vite mais il se rendit compte qu'ils n'en avaient pas les moyens. Il ne pouvait continuer par rester discret tout en sachant que son autre fils est riche. 
Eh oui, lui le savait. Il y a deux ans de cela, au cours de sa lune de miel à Paris, il rencontra par hasard son camarade de lycée dans un restaurant. Ils s'échangèrent leurs contacts et se fixèrent un rendez-vous pour le lendemain. C'est là qu'il lui raconta toute son aventure. Ils s'appelaient de temps en temps et  il regardait tous ses matchs. Deux jours après, il  s'envola pour l'Angleterre. Etsè étant en déplacement pour un match de championnat au nord, il attendit son retour. Dès  son arrivée, il lui narra la situation déplorable dans laquelle sa famille était. Etsè fut très peiné par la maladie de son père. Il décida de financer son évacuation vers l'Afrique du Sud mais fit promettre à son ami de garder le secret jusqu'à ce que l'opération soit terminée. Connaissant bien la fierté de son père, il était capable de refuser son aide s'il savait que cela venait de lui. Quelques jours après, son ami revînt au pays avec les fonds nécessaires pour l'évacuation de Fo Koffi. Il prétexta que les fonds provenaient d'une O.N.G dans laquelle il œuvrait. Ce fut un réel soulagement pour la famille. Tout fut organisé dans les plus brefs délais pour le voyage. Compte tenu de la santé fragile d'Akossiwa, Atsu fut le seul à accompagner son père à Johannesburg. Fort heureusement, l'opération s'est très bien déroulée et la tumeur a pu être extraite. Son père étant maintenant hors de danger, Etsè décida enfin d'aller voir sa famille. Lui aussi se rendit en Afrique du Sud où son ami l'attendait. Avec son soutien, il eut le courage d'aller affronter son père. Dès qu'il ouvrit la porte de la chambre, son frère courut lui sauter dans les bras en pleurant à chaudes larmes. Aucun mot ne pouvait exprimer avec exactitude ce qu'ils ressentaient tous les deux en cet instant précis. Son père qui était couché suivait avec attention ses deux garçons heureux de se retrouver. La scène dura au moins cinq bonnes minutes avant qu'ils ne se détachent l'un de l'autre. Etsè fit quelques pas et dit tout en ayant les yeux baissés: « Bonjour Papa ». Fo Koffi resta silencieux quelques secondes avant de répondre enfin sèchement: «  J'ai arrêté d'être ton père le jour où tel un fugitif, tu as quitté ma maison ».
- Mais Papa, tu ne peux pas dire cela. Il restera toujours ton fils et mon frère. Répliqua Atsu.
- Tu es mon seul fils désormais. Dis-lui de sortir de cette chambre. D'ailleurs comment a-t-il su pour ma maladie ou que nous étions ici ?
- Le Docteur Robert que voici est un ancien camarade de classe. On s'est revus à Paris il y a deux ans de cela. Quand il t'a reconnu, il est venu m'en informer et j'ai fait mon devoir de fils en tentant de te sauver la vie.
- Attends, si je comprends bien c'est donc toi qui as payé les frais d'hospitalisation de Papa ? S’étonna Atsu
- Oui.     Répondit-il timidement.
- Où as-tu trouvé cette somme ? Déclara son père.
- Le foot, papa.
- Ne me mens pas! Ça doit être des affaires louches, je sais. Tu as toujours aimé vivre dans le vice.
- Etsè: Non papa…
Il leur raconta toute son aventure. Ils écoutaient tous les deux émerveillés par le récit d'Etsè. Quand il  termina, son frère lâcha: « Je suis fier de toi frangin ».
Quelques secondes après, son père répondit également avec des larmes aux yeux : « Désolé de n'avoir pas cru en toi fils. J'aurais dû te soutenir ou te comprendre au lieu de t'imposer ma vision. Je t'ai contraint à partir en quelque sorte ».
- Non papa, c'est plutôt moi qui doit m'excuser pour toute la peine que j'ai dû vous causer en quittant ainsi la maison. Du fond du cœur, pardonnez-moi. Vous m’avez énormément manqué.
- Il n'y a rien à pardonner fiston. Allez, viens là.
Etsè courut donc enlacer son père. Atsu les rejoint aussitôt. Ce fut très émouvant comme scène. Le Docteur Robert qui était toujours à la porte versa quelques larmes également. 
Ils restèrent à Johannesburg une semaine de plus avant de repartir pour Lomé. Akossiwa jusque-là n'était pas au courant du retour de son fils bien aimé. Atsu ne lui a rien dit au téléphone. Elle était juste soulagée de savoir son mari hors de danger; elle les attendait donc avec impatience. 
Assise cet après-midi sous la paillote, dès qu'elle entendit le klaxon de la voiture, elle se précipita au portail pour aller à leur rencontre. Elle embrassa son mari, ensuite son fils puis elle vit quelqu'un d'autre sortir de la voiture. Grande fut sa surprise quand elle vit celui qui en sortit. Elle s'écria: Etsè ? C'est bien toi ? Ce dernier hocha la tête en signe d'acquiescement. Elle se précipita vers lui pour l'embrasser. Elle avait pleuré pendant longtemps, espérant le revoir avant que la mort ne l'emporte. Aujourd’hui, elle peut partir en paix. Comme quoi l'amour d'une mère ne s'éteint jamais. Peu importe le choix que son fils a dû faire en l'abandonnant, elle ne pourrait jamais s'empêcher de l'aimer de tout son cœur. 
Le fils prodige est enfin de retour.
 Ayant appris la situation de son frère, Etsè lui proposa de devenir son conseiller juridique. Après avoir suivi une formation en droit sportif en France, il deviendra l'agent de son frère. C'est justement Atsu qui va réussir à lui décrocher un contrat dans son club de rêve en Espagne où il y connaîtra son apogée. Sa carrière a été fulgurante. Il a d'ailleurs été désigné deux années consécutives, meilleur joueur du continent. Il choisira évidemment en fin de compte de jouer pour son pays natal... 
Ecrit par Nick LEGONOU

 

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