SURVIVANT ? (Ep 7)

SURVIVANT ? (Ep 7) | AfroRaise

Richard était distrait un moment par la pièce que lui avait donnée sa mère. Pour lui, cette pièce changeait toute l'image qu'il se faisait de son père, qui devenait de plus en plus un modèle à ses yeux.

À la question de la proviseure, il relève la tête.

 

Richard : Oui, une sorte de formule composée de mots ou expressions qui récitée plusieurs fois en boucle permettait aux Bouddhistes de l'Asie d'atteindre un état de plénitude spirituelle.

 

Mme Allas : le nirvana pour être plus précis. Le mantra est aussi utilisée par certains pour canaliser leurs émotions et ressentis. Ça leur rappelle qu'ils ont une certaine promesse ou tenue à respecter envers une ou des personnes.

 

Richard : Je vois. Pensez vous que l'homme puisse atteindre par lui-même cet état de plénitude au point de se détacher de tout ce qui est bien et douleur physique ?

 

Mme Allas : Je crois, oui, que cela est possible. De nombreux ouvrages en ont parlé. C'est un long processus qui demande des méditations profondes.

 

Richard : Vous voulez que je trouve un mantra pour canaliser ma colère ! C'est ça ? Dit-il en levant son regard sur elle.

 

Mme Allas : En quelques sortes. Je me disais qu'on pourrait pendant quelques temps essayer de trouver ce mot ou cette expression qui te ferait te calmer. Que représente cette pièce pour toi ?

 

Richard : C'est tout ce qu'il me reste de mon père comme souvenir, à part ce remord de l'avoir méprisé.

 

Mme Allas : Oui, mais que représente t'elle pour toi ?

 

Richard : Je me suis promis de devenir intègre comme lui.

 

Mme Allas : Pourquoi pas L'intégrité ?

 

Richard : Oui - souffla-t-il - L'intégrité.

 

Mme Allas : Bien. On a fait un petit pas. Prochainement, nous essaierons d'en faire une phrase ou une expression. Nous ne devons pas brusquer les choses. Ton esprit doit s'habituer à ce mot. Tu dois donc le répéter plusieurs fois afin qu'il soit ancré en toi.

 

Richard : Intégrité, Intelligence, Richesse, murmura Richard en caressant la pièce.

 

Mme Allas : Pardon ?

 

Richard : Intégrité Intelligence Richesse, reprit Richard d'une voix audible en la regardant dans les yeux comme pour lui dire, ça y est ! Je l'ai trouvé.

 

Mme Allas : Pourquoi avoir choisi l'intelligence ? Pourquoi pas d'autres mots comme l'amour, la paix par exemple !?

 

Richard : Ma mère à l'habitude de me dire que même si j'ai du mal à contrôler la colère, j'ai un don que beaucoup n'ont pas, celui d'être beaucoup plus intelligent, ce qui me permet d'appréhender une partie des conséquences des actes juste avant de les poser. On peut dire que ça m'aide un peu à me calmer dans certaines situations.

 

Mme Allas : Étonnant garçon, pensa-t-elle. Et pourquoi richesse ? J'avoue que cela m'intrigue un peu

 

Richard : Ça représente la promesse que j'ai faite à ma famille. À mon père et à la père, Rachelle, Rolland, Raïssa et Rachid. Je deviendrai un jour très riche, et je nous sortirai de cette précarité. Je le jure sur la mémoire de mon père, dit-il avec autant de conviction dans les yeux  qu'une armée s'apprêtant à livrer bataille.

 

Mme Allas : C'est ça ton idéale, je me trompe ? Demande t'elle sans attendre de réponse. C'est ça qui est ta source de motivation de chaque jour. C'est pour ça que tu viens à l'école alors que tu n'en as pas en réalité besoin et c'est pour ça que tu es comme tu es. C'est ta raison de vivre.

 

Richard : Vous faites erreur madame, comme tout ceux que je croise. Ce n'est pas ma raison de vivre. C'est ma raison de survivre, je suis un survivant qui cherche une voix moins tumultueuse pour sa famille.

 

Mme Allas : Il faut normalement plusieurs séances pour qu'un psychologue aide son patient à trouver son mantra. Mais toi tu l'as fait en à peine une trentaine de minutes. Maintenant nous allons faire un petit exercice. Tu vas le répéter en inspirant profondément et en expirant profondément également. Répète-le autant qu'il le faut. Sois concentré, fermé les yeux et répète le en visualisant la pièce dans ton esprit. Visualise là en train d'absorber ta colère noire. Fait le avec conviction et détermination. Crois en son pouvoir canalisateur de vibrations, dit calmement la proviseure en modérant le flux de ses mots.

 

Richard : D'accord, fit-il en regardant avec intensité la pièce…

 

Le temps passa. Richard, muni de sa pièce symbolique et de son mantra se sentait désormais prêt à affronter toutes ses crises de colère.

 

> Survivant, murmura la proviseure après le départ du jeune élève en repensant à lui.

 

Il avait manqué les trente premières minutes du cours de mathématiques, mais une simple lecture lui suffirait pour comprendre.

 Le contrôleur du temps frappa furieusement contre le mât de la cour pour signifier aux élèves que la récréation était arrivée.

 

Richard : Dis, comment se fait-il que tu sois dans le même banc que moi - dit-il en se retournant vers Eugénie qui rangeait ses effets.

 

Eugénie : J'ai dis au prof que je ne voyais pas bien depuis mon ancienne place, mentit la jeune fille.

 

Richard : Ça a commencé quand ? Tu as informé tes parents ? Il te faut une solution au plus vite afin de ne pas les dégrader en leur donnant plus de travail, dit-il soudain inquiet.

 

Eugénie : T'inquiète pas pour moi, ça va aller maintenant que je suis au premier banc, dit-elle en lui caressant inconsciemment le haut de la main.

 

 

Eugénie remarqua son acte et retira vite la main.

 

 

> Qu'est ce que c'est ? Demande-t-elle pour diminuer la gêne et changer de sujet.

 

> Mon mantra - dit-il en la tournant dans sa main - Elle appartenait à mon père.

 

> Hé toi, le fils du menuisier, fit Sylvestre  en arrivant du fond de la classe, tu as de la chance que mon père soit parti en mission. Sinon tu aurais des factures que même toute une année à porter le bois ne suffirait pas à ton père pour les payer, dit-il avec un regard rempli de mépris et de colère.

 

Il se plaça devant Richard, seule la table du banc le séparait du métis qu'il ne considéra pas.

 

> Regarde moi quand je te parle, pauvre rat. Et c'est quoi ça ? En lui prennant sans autorisation la pièce des mains. C'est ça ce que ta mère t'a donné comme argent de poche aujourd'hui ? Dit-il en riant.

 

Richard était au bord de sa colère. Les poings serrés à se déchirer la paume, il respirait aussi lentement qu'il pouvait pour ne pas exploser.

 

> Rend la moi, fit-il avec une voix entrecoupée d'une respiration irrégulière.

 

> Si non quoi ? Tu vas me casser le nez comme la dernière fois ?

 

> Donne lui la pièce Sylvestre. Je t'en supplie, dit Eugénie en se levant du bois.

 

> Qu'il aille la chercher s'il y tient tant que ça, dit-il en envoyant la pièce à l'extérieur de la classe.

 

Richard murmura quelque chose sous le regard intrigué de ses camarades. Les yeux remplis d'une profonde colère, le cœur palpitant, le sang bouillant, il se leva de son banc. Sa respiration devint irrégulière, il n'arrivait plus à se contrôler, il n'entendait plus rien si ce n'est que sa sombre pensée qui lui insufflait deux mots : Démolis-le

Blessé dans son amour propre par Sylvestre qui voulut le provoquer, les poings serrés à se déchirer la paume, Richard se leva, le cœur palpitant, la respiration difficile, il se dirigea vers l'extérieur où se trouvait la pièce, où elle avait atterri quelques secondes plus tôt. Romuald venant de la cours s'accroupit pour la ramasser.

 

>N'y touche pas, tonna Richard d'une voix glaciale.

 

Romuald se leva systématiquement, laissant la pièce à son propriétaire. Richard ramassa la pièce et sans un regard en arrière s'en alla dans la cour où il disparut. Il le savait, s'il restait encore quelques secondes dans la salle, il n'allait pas lui casser le nez mais le défigurer.

 

>Attends-moi, lança Eugénie qui fermait précipitamment son sac pour le rejoindre. À sa sortie, plus de Richard. Elle sillonna la moitié de l'établissement avant de le retrouver derrière les classes, le front contre le mur, haletant, cherchant difficilement à réguler sa respiration, le poing amoché et taché de sang. Elle fut intriguée, Sylvestre l'avait-il rejoint ? Le mal était-il fait ?

 

Eugénie : Qu'as tu fais Richard, demanda la jeune camarade en lui prenant le poing couvert d'égratignures et peint du liquide vital.

 

Richard : Il fallait que je me calme, dit-il en reprenant soudain son souffle comme par magie.

 

Elle remarqua une tâche de sang frais sur le mur et comprit qu'il n'avait pas pû s'empêcher de frapper contre quelque chose. Il avait préféré sortir de la salle pour se défouler.

 

Eugénie : Tu as mal ? En touchant la partie ensanglantée

 

Richard : Ssshh, fit-il de douleur. Un peu. Mais ça va.

 

Eugénie : Bouge pas je reviens, dit-elle avant de s'en aller comme un serpent à l'affût d'une nouvelle proie.

 

Elle revint quelques minutes plus tard avec un petit sac à main contenant un papier mouchoir et un flacon de déodorant.

 

Eugénie : Je te préviens, ça va piquer.

 

Richard : Je suis coura…

 

Il retira aussitôt la main après je premier jet.

 

Eugénie : Tu disais ? En lui nettoyant le dessus de la main avec le papier. Il fallait mettre de l'alcool. Cette école existe depuis plus de  vingt ans, imagines la saleté qui s'est collée à ta plaît.

 

Richard : Merci - Dit-il chaleureusement en fixant ses yeux profonds.

 

Eugénie : De rien - en détournant le regard gêné.

 

Richard : Pourquoi tu fais tout ça ?

 

Eugénie : C'est parce-que…C'est parce-que euh…dit-elle en essayant de chercher les mots comme pour annoncer quelque chose de crucial qui nécessitait les bons mots.

 

Richard : Oui ? Parce-que ? Fit-il impatient.

 

Eugénie : Parce-que tu es mon ami et que je t'aime bien, répondit-elle avec timidité.

 

Profitant de l'extrême rapprochement de leurs corps qui n'étaient qu'à quelques centimètres l'un de l'autre, Richard ferma les yeux et dans une lenteur passionnée il prit les lèvres d'Eugénie entre les siennes.

 

>Tu fais quoi Richard ? Dit-elle en retenant sa tête à quelques centimètres de la sienne après avoir reculé d'un pas.

 

Elle l'avait arrêté en lui posant l'index et le majeur sur les lèvres. Honteux de son acte manqué et d'avoir fantasmé seul, il lui fit dos.

 

>Désolé, je ne sais pas ce qui m'a prit.

 

> C'est pas grave, répondit-elle.

 

>Peut-être que tu devrais fermer ton dernier bouton, dit-il sans se retourner.

 

Elle sourit et boutonna son corsage qui laissait une vue indiscrète sur sa poitrine.

 

>Tu m'accompagnes manger ?

 

>Non, en s'en allant. Je vais continuer ma lecture.

 

>Sortir une fois en récré ne te fera rien. Tu risques de te mettre en colère si tu revois Sylvestre en classe

 

>Fhhum, fit-il en se détendant des épaules.

 

>T'inquiète pas pour l'argent, dit-elle en le devançant.

 

Une quinzaine de minutes plus tard, ils quittèrent la bonne dame après que Richard se soit goulûment remplit le ventre. Eugénie lui ignorait un tel appétit. Elle était amusée de le voir demander deux fois de plus la même ration.

 

Eugénie : Comment tu as fait ? En marchant.

 

Richard : Quoi ? Manger ?

 

Eugénie : Comment tu as fait pour sortir de la classe sans lui avoir mit ton poing dans la figure ? Même si ça allait t'amener des ennuis, il l'avait bien mérité.

 

Richard : J'ai pensé à la peine que je ferai à ma mère si je me faisais exclure. À peine quelques heures on était dans le bureau du proviseur. J'avais compris que même si elle était en colère, au fond d'elle, elle avait de la peine et était déçu. Je ne veux plus voir ce regard posé sur moi.

 

Eugénie : Je vois. Au moins si je n'arrive pas à te faire retrouver tes esprits, je suis content qu'elle soit toujours avec toi et qu'elle y arrive.

 

Richard : … silencieux, perdu dans ses pensées. Je n'ai pas dit mon dernier mot, je vais le débarrasser de sa petite bande et on verra s'il sera toujours confiant

 

Eugénie : Ne fais rien qui te causera des ennuis.

 

Richard : Isl se causeront des ennuis eux même, ils ont tous des secrets à cacher. Je ferai éclater sa meute de l'intérieur.

 

Eugénie : Tu comptes faire quoi ? Et puis comment tu connais ces secrets, toi qui ne sors jamais discuter avec les autres pendant la récré.

 

Richard : Il suffit d'observer. Ce sont tous des hypocrites. Sylvestre a avec lui un fils de menuisier pensant qu'il est le fils d'un riche, dit-il en plongeant les main dans les poches.

 

Eugénie : Tu murmurais quoi avant de sortir de la salle ?  En faisant comme s'il elle ne l'avait pas écouté

 

Un élève dans sa course vint malencontreusement bousculer Richard qui fronça la mine.

 

Richard : C'est pour éviter ces débordements gestuels que je reste dans la classe auprès de mes bouquins, dit-il en colère

 

Eugénie : Oublie ça, il n'est qu'en Secondes. Laisse le s'amuser.

 

Le jeune élève revint à la charge en jouant à la course poursuite avec ses amis. Richard l'arrêta d'une main et se courba à sa hauteur.

 

>Tu connais déjà toutes les démonstrations géométriques de ton livre de mathématiques ?

 

>Non, répondit-il soudain calme.

 

>Tu connais les noms scientifiques de toutes les plantes de ton programme de sciences naturelles ?

 

>On vient de commencer le chapitre, dit-il en voulant se défendre.

 

>Ce n'est pas une raison. À ta place j'irai lire mon cours après avoir mangé, dit Richard en se relevant.

 

>Lâche le Richard, dit-elle en le tirant vers l'avant par le bras.

 

>Tâche de ne plus bousculer personne, lança t-il au jeune qui resta planté comme un piquet.

 

Le métal retentit, la recré était terminée. Ils se dirigèrent dans leur classe et après s'être assise, Eugénie remarqua que Richard avait disparu. Elle voulut partir à sa recherche quand monsieur Rode, le professeur d'histoire-géographie fit irruption dans la salle.

 

>AUCUN CAHIER NI DOCUMENT SUR LES BANCS. PRENEZ UNE FEUILLE, lança le professeur qui fut bientôt hué par les corps vêtus de kaki des élèves.

 

A SUIVRE…

ECRIT PAR PRIVAS_WINNER

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